NOUVELLES INTERNATIONALES
AUMÔNIERS MALGRÉ EUX D’UNE MILICE SANGUINAIRE
Sous ce titre paraphrasant une pièce comique de Molière se déroule depuis mars 2022 un drame sur le Plateau des Bateke en République Démocratique du Congo (RDC). Le Plateau de Bateke est ce vaste territoire qui s’étend, à l’Est de Kinshasa, capitale de la RDC, de la rivière Lufimi (Mayi-Ndombe) jusqu’à la rivière Kwango et aux confins de Kwamouth. Sur ce vaste paysage de savane herbeuse et peu boisée vivent les Bateke, un grand peuple pacifique qu’on retrouve aussi au Gabon et au Congo-Brazzaville. Une des communes de Kinshasa, Maluku, s’enfonce sur une centaine de kilomètres dans ce Plateau. Dimanche dernier, 12 novembre2023, lors de la messe du jubilé des 70 ans de la SMA en RDC à la paroisse sma de Mampu, les effets de ce drame sont encore présents : peu de monde dans la cité, peu de chrétiens à l’église.
Dynamique d’une migration innocente
Ce terrain propice à l’agriculture et proche du plus grand débouché du pays a attiré des exploitants agricoles de tailles industrielles ou familiales.Si des grands exploitants jouissent du fruit de leur travail en toute quiétude, protégés par des avocats et des militaires, les petits exploitants doivent payer des redevances saisonnières et annuelles. La grande majorité de ces petits fermiers sont des Bayaka, une tribu voisine du Kwango voisin.
Jusqu’en ce début de 2022, Teke et Yaka vivaient en bons termes, ayant cohabité et contracté de nombreux mariages mixtes depuis deux ou trois générations. Des Yaka sont même devenus des kapita, une espèce d’adjoints des chefs coutumiers et chefs de terre Teke dans plusieurs villages.
Les causes d’une crise évitable
Les tueries et massacres ont surgi en mars 2022. D’abord un massacres sauvage d’un individu, suivi d’une tentative de réconciliation ; puis un autre massacre, plus macabre, suivi d’un autre en représailles, jusqu’à ce qu’une guerre ouverte soit déclarée entre les deux communautés.
L’histoire dira la(les) cause(s) de cette explosion des violences entre les deux communautés, qui s’accusent mutuellement d’être à la base de cette violence inédite. On évoque pêle-mêle des manipulations politiciennes,l’augmentation inacceptée des redevances des fermiers, voire une manœuvre d’infiltration des rwandais, etc. Les causes les plus sûres du conflit sont à trouver dans le flou du droit foncier du pays en milieu rural et surtout dans la faiblesse et l’absence de l’État.
Le narratif le plus simple serait que les chefs des terre ont convenu d’augmenter les redevances des fermiers, exigence assortie d’une menace:« Vous payez ou vous quittez le terrain, de gré ou de force ». Le volet politique de l’affaire serait que les chefs de terre ont reçu l’ordre de faire partir les fermiers Yaka, devenus trop nombreux, au risque de se retrouver avec un député Yaka dans une circonscription Teke ; ou bien les chefs Teke, ayant revendu les terrains déjà alloués aux fermiers Yaka à des généraux (rwandais ?), seraient sous pression de ces nouveaux acquéreurs disposant d’un soutien militaire.
Quelles que soient les raisons profondes de cette crise meurtrière, quand les Yaka se sont sentis menacés dans leurs intérêts profonds, ils se sont organisés en comité d’auto-défense appelé « Mobondo », d’après un fétiche réputé les rendre invulnérables.
« Mobondo » : mode opératoire
Forts de cette réputation, qui terrorise tout le monde, policiers/militaires y compris, les « Mobondo » sont passés d’une opération d’auto-défense,consistant en représailles contre tous les Teke à quelque chose de plus monstrueux : chasser tous les Teke du Plateau des Bateke ! Des villages entiers sont ainsi vidés de leurs habitants, ou simplement incendiés. Des hommes, des femmes, des vieillards et même des enfants qui n’ont pas pu ou voulu s’enfuir vont être massacrés à la machette, les maisons brûlées,les récoltes pillées, les cadavres sans sépulture jonchant les cours et rues des villages fantômes. Les affrontements avec quelques militaires envoyés se soldent souvent par un bilan plus lourd chez les forces de l’ordre que chez les Mobondo armés de seules armes blanches. De plus en plus équipés en armes de guerre récupérées après la fuite ou la mort des militaires ou policiers, les « Mobondo » ont commencé à ériger des barrières sur des axes routiers sous leur contrôle, tuant toute personne identifiée comme Teke, escroquant les autres passagers.
Les « Mobondo » font également payer des taxes ou rançonnent les autres habitants vivant sur leur territoire. Des truands de toutes sortes s’en mêlent ainsi et rendent la situation plus complexe.
L’État reste étrangement absent et muet devant ce drame aux portes de la capitale. Si des tentatives de réconciliation par des agents locaux, par des chefs coutumiers ou par des chefs religieux ont aidé à mieux comprendre les enjeux, elles n’ont pas réussi à ramener le calme.
Deux missionnaires sma dans la tourmente
Cette situation est venue surprendre deux jeunes missionnaires sma dans la paroisse de Mampu, au Plateau de Bateke. En effet, la paroisse Saint-Thomas d’Aquin à Mampu, érigée le 15 janvier 2020, a été confiée aux Missions Africaines. L’équipe apostolique est faite de Père Hippolyte Buhika (curé) et de Père Patrick Mpete. Quoiqu’en plein Plateau de Bateke, Mampu n’est pas un village Teke, mais un centre cosmopolite né dans les années 80 autour d’un méga projet de reboisement sur plus de 800 hectares. Autour de ses infrastructures de base (écoles, centre de santé,cantine, garage, adduction d’eau, électricité…), différentes Églises sont venues s’ajouter ainsi que toutes sortes de commerces. Cette crise a vidé Mampu de son monde, surtout de Teke, majoritaires.
En dépit de cela, les 2 confrères ont décidé de rester dans ce chaudron. Ces « Mobondo » sont en fait, paradoxalement, ceux qui assurent la sécurité des lieux ! Les « Mobondo » leur ont assuré qu’ils ne pilleraient pas le presbytère ni Mampu, si on ne les agresse pas. Les confrères ont aussi réussi à faire accepter aux « Mobondo » la présence plus rassurante des policiers, à condition que ces derniers ne les attaquent pas. Quand, dans d’autres villages voisins il y a des affrontements sanglants entre policiers/militaires et les « Mobondo », Mampu semble un îlot de paix dans une mer ensanglantée. Pour combien de temps ?
Une pastorale peut en remplacer une autre
Comme sous l’effet de l’alcool et du chanvre, les humeurs peuvent changer brusquement, les 2
« aumôniers malgré eux » des « Mobondo » s’organisent pour ne pas se trouver tous les deux au poste en même temps : quand l’un est présent à la mission, l’autre se replie à Kinshasa ; mais ils ne veulent pas abandonner la mission, malgré le danger et les demandes de certains confrères. Ils disent que leur présence là est nécessaire pour la sécurité de tous : il faut être présent pour apaiser, pour faire le pont entre les parties, pour protéger la population, leurs biens et aussi leur pauvre mission. Et il faut continuer à prier avec ceux qui sont restés en ce lieu où le mal et le péché surabondent. Une caution morale en plein enfer.
Comme des vrais aumôniers militaires au champs de bataille, avec des soldats qui vont tuer ou se faire tuer pour une cause jugée légitime ; ou comme ces missionnaires sur des terrains hostiles à l’Évangile, être présent, avec un minimum d’activités et un maximum de prière et de projets apostoliques, est une forme d’apostolat non moins essentiel,même si cela doit être très frustrant