Tout comme le concept d’« inculturation » est apparu soudainement à l’horizon du discours ecclésial il y a environ cinquante ans, le concept de « synodalité » a récemment émergé au premier plan du débat ecclésial contemporain. Il est devenu l’un des thèmes favoris du pape François et, comme le souligne le Père Gerry O’Hanlon SJ, la clé pour comprendre la révolution silencieuse qu’il opère dans l’Église. Lors d’une commémoration du 50e anniversaire de l’institution du Synode par le pape Paul VI, le pape François a vivement soutenu le concept de synodalité, affirmant qu’il était une dimension essentielle de la vie et de la mission de l’Église au service du règne de Dieu.
Afin d’incorporer la synodalité dans la vie et la mission de l’Église, le pape François a lancé en octobre 2021 un voyage de réflexion et de consultation sur la synodalité dans toute l’Église. Ce voyage, coordonné par un secrétariat central à Rome, a impliqué une série sans précédent de réunions aux niveaux local, national et continental, aboutissant à la première assemblée universelle des évêques sur la synodalité qui s’est tenue à Rome du 4 au 29 octobre 2023. Une deuxième assemblée universelle sur la synodalité aura lieu en octobre de cette année (2024) pour compléter le voyage. Mais de quoi s’agit-il vraiment de la synodalité ? Dans cette courte présentation, je me concentrerai sur la signification, les racines historiques et la fondation théologique de la synodalité.
Synodalité : Signification et Racines Historiques
Le mot « Synode » est d’origine grecque et signifie littéralement « ensemble sur la route ». Il exprime une compréhension de l’Église en tant que communauté des disciples du Christ, guidée et unie par l’Esprit, et cheminant ensemble sur le chemin du Christ. Tout en incluant le principe de collégialité, la synodalité a une portée beaucoup plus large. La collégialité se réfère aux relations de collaboration et de co-responsabilité entre le Pape et les évêques de l’Église. La synodalité désigne les relations qui existent entre tous les secteurs du peuple de Dieu. Selon les mots du pape François : « c’est la manière dont les gens dans l’Église apprennent et écoutent les uns les autres et prennent une responsabilité partagée pour proclamer l’Évangile ».
Les réunions spéciales appelées synodes existaient dans l’Église dès les premiers siècles. Écrivant à la communauté chrétienne d’Éphèse au début du deuxième siècle, saint Ignace d’Antioche déclarait que les membres de l’Église locale sont « compagnons sur le chemin » en vertu de la dignité du baptême et de leur amitié avec le Christ. Pendant le premier millénaire, toute la communauté participait aux synodes de l’Église locale, tandis que les participants des synodes provinciaux étaient principalement composés des évêques de diverses églises locales, avec des prêtres et des moines régulièrement invités à contribuer. Cependant, seuls les évêques pouvaient participer à ces synodes spéciaux appelés Conciles œcuméniques.
Au deuxième millénaire, les synodes se sont développés différemment dans les Églises orientales et occidentales, notamment après le schisme entre l’Est et l’Ouest au XIe siècle. L’Église orientale a développé les synodes en tant qu’institution permanente de l’Église – une institution qui perdure jusqu’à aujourd’hui dans l’Église orthodoxe. Dans l’Église latine, la synodalité s’est intégrée dans la vie et les structures des communautés monastiques et religieuses, en particulier les Ordres Mendians. Au XVIe siècle, le Concile de Trente a décrété que les synodes diocésains devaient avoir lieu chaque année et les synodes provinciaux tous les trois ans afin de communiquer et de promouvoir les réformes du Concile à toute l’Église. Cependant, ces synodes n’impliquaient pas la participation active de l’ensemble du Peuple de Dieu.
Au XIXe siècle, l’accent mis par le Premier Concile du Vatican sur la primauté et l’infaillibilité du Pape tendait à éclipser le principe de la synodalité. Néanmoins, certaines voix prophétiques, notamment celles d’Adam Möhler (1796-1836), d’Antonio Rosmini (1797-1855) et de John Henry Newman (1801-1890), l’ont maintenue en vie. Ces théologiens ont souligné la dimension communautaire de l’Église, arguant que cela impliquait « une pratique synodale ordonnée » dans toute l’Église à tous les niveaux, reconnaissant ainsi la compréhension de la foi (sensus fidei) parmi l’ensemble du peuple de Dieu.
Au XXe siècle, le développement des relations œcuméniques entre l’Église catholique et les autres Églises et communautés chrétiennes, ainsi que les réformes du Deuxième Concile du Vatican, ont conduit à une nouvelle emphase sur la synodalité et à une compréhension élargie de celle-ci. La synodalité est clairement un élément central dans la vision de l’Église du pape François et la clé de son programme de renouveau. Il la considère comme une dimension constitutive de toute l’Église, embrassant les relations entre tous les secteurs et membres du peuple de Dieu.
Synodalité : Fondement Théologique
Bien que le terme « synodalité » n’apparaisse pas dans les documents du Concile Vatican II, la vision ecclésiologique du Concile fournit une base théologique solide pour la synodalité. L’un des principaux objectifs du Concile était d’examiner et de repenser la compréhension de l’Église d’elle-même et de sa mission dans le monde. Cette nouvelle compréhension s’est exprimée notamment dans la Constitution Dogmatique sur l’Église du Concile (Lumen Gentium), qui parlait de l’Église en utilisant les images bibliques du « peuple de Dieu » et du « corps du Christ ». L’image du peuple de Dieu souligne ce que tous les membres de l’Église partagent en commun en raison de leur baptême commun :
Tous ont la même dignité fondamentale en tant que fils et filles de Dieu, en qui l’Esprit vit comme dans un temple (Lumen Gentium, no. 9).
Tous participent aux trois offices du Christ, leur chef – les offices sacerdotal, prophétique et royal (LG, nos 9-13).
Tous sont appelés à être saints et à émuler l’amour parfait du Christ. Il n’y a qu’une norme de perfection pour le clergé, les religieux et les laïcs (LG, no. 40). Il est donc absurde théologiquement de parler du clergé ou des religieux comme étant appelés à un « degré supérieur » de sainteté.
Tous sont appelés à participer à la mission de l’Église consistant à apporter le Christ au monde (LG, no. 9).
En parlant de l’Église comme du « corps du Christ », le Concile reprenait l’image préférée de saint Paul pour l’Église. Dans sa Première Épître aux Corinthiens, chapitre 12 (et également au chapitre 12 de sa Lettre aux Romains), Paul articule une vision de l’Église en utilisant l’analogie du corps humain. Dans le corps humain, tous les organes sont différents les uns des autres et travaillent cependant ensemble en harmonie pour le bien de l’ensemble du corps. Si un organe est malade, tout le corps est affecté. Il en va de même, dit Paul, pour les membres du Corps du Christ. Lorsque Paul se réfère à l’Église comme au Corps du Christ, il attire notre attention sur l’unité dans la diversité et l’interdépendance qui devraient caractériser la communauté chrétienne. Les différents dons reçus par les membres de la communauté du Saint-Esprit se complètent les uns les autres et, lorsqu’ils sont utilisés correctement, construisent l’unité de la communauté.
Pris ensemble, les images du « Peuple de Dieu » et du « Corps du Christ » dépeignent une Église bien plus communautaire que le modèle institutionnel des temps préconciliaires permettait ; une Église où tous les baptisés sont récipiendaires des dons de l’Esprit et sont appelés à participer activement à sa mission ; une Église où la diversité n’est pas considérée comme un obstacle mais plutôt comme un moyen vers l’unité. Bien qu’il y ait, bien sûr, des éléments du vieux modèle institutionnel de l’Église à trouver dans les documents du Concile Vatican II, dans l’ensemble, la nouvelle vision est dominante, et elle fournit une base théologique solide pour la création d’une Église synodale. Cette vision communautaire de l’Église appelle tous les membres de l’Église, partageant une égalité fondamentale en vertu de leur baptême commun, à écouter, discerner et collaborer les uns avec les autres au service de la mission de l’Église. Donner une expression concrète à cette vision, voilà de quoi il s’agit vraiment de la synodalité.
Par le père Michael McCabe, sma (internationale)