Il s’appelle Grégoire, et il est arrivé fatigué à Niamey. La guerre ne cessait pas de le talonner depuis qu’il se trouvait à Gao, au Mali. Il est resté caché pendant trois jours comme dans un sépulcre. Silencieux comme une tombe scellée, jusqu’à ce que ceux qui voulaient sa mort se soient éloignés.
Les guerres ne finissent jamais
Ils parlaient une autre langue, et même le dieu qu’ils conjuraient semblait étranger. Sa famille s’était sauvée par miracle. Priscilla, sa petite fille, jouait avec une poupée en chiffon quand elle s’était échappée avec la maman. Ses yeux étaient devenus ceux d’une femme que caresse la vie. Par contre, Grégoire était resté caché. Seulement, les guerres ne finissent jamais. Les mois suivants, il les a passés aux confins du Niger, et seule l’indigence de sa famille l’a poussé à retourner à la maison. Il se demande s’il convient de vendre sa voiture à Niamey. Il a peut-être raison, car le nombre des voitures et des stations d’essence augmente. Comme le pays produit du pétrole chinois, on a réduit le prix de l’essence de quelques francs.
À chacun sa guerre, et pour certains la paix, celle que le jury du prix Houphouet Boigny a attribuée au président Hollande. L’Unesco qui s’occupe de la culture et de la paix lui a réservé ce prix recherché. Celui qui présidait le jury en question était autrefois chef de l’État du Mozambique. On lui a reconnu la contribution importante qu’il a apportée à la paix et à la stabilité dans la région. Paix pour certains, et instabilité pour la plupart. L’imposture est presque parfaite, comme la guerre qui depuis toujours combat les pauvres. Ils vaincront, mais seulement vers la fin de l’histoire. D’ailleurs ils font partie des mêmes Africains qui applaudissent et attribuent les prix. Le diplôme pour la paix, une plaque pour rappeler, et une enveloppe de 150.000 dollars pour fêter. Les pauvres créent la richesse, la renommée et un bon marché, aussi florissant que l’industrie de la guerre.
Par un étrange hasard, on a publié le rapport du Sipri sur les dépenses en armements. En 2010, la France se trouve en quatrième position de ce classement particulier. L’Italie, qui par nature rejette la guerre, campe seule en dixième position avec 37 milliards de dollars.
Elle s’appelle comme l’amour
Lovette (Amourette) ne se trouve pas sur la liste. Elle s’appelle comme l’amour quand il est petit. Elle recherche sa fille qu’elle n’a pas vue depuis sa naissance. C’était en 1996, et la fragile paix de Taylor, au Liberia, préparait la guerre suivante du pays. Sa fille, qui s’appelle Mercy (Pitié), poursuit quelque part ses 19 ans. Sa mère a eu un fils en exil au Ghana, et il s’appelle Ernest. La justice et la paix s’embrasseront un jour, et d’ici là, Lovette cherche sa fille. Certains disent qu’ils l’ont vue au Nigeria et d’autres au Mali. Elle est venue au Niger parce qu’elle espérait pouvoir la trouver là où personne ne l’a vue.
Une guerre contre l’invisibilité
La guerre des migrants n’a pas de frontières. C’est une guerre contre l’invisibilité qui voudrait négocier un armistice. On se bat presque toujours en cachette, et ils sont peu nombreux ceux qui en parlent. Les défaites se mélangent, silencieuses, aux inutiles victoires. Les trêves précaires se transforment en expulsions qui à leur tour sont précédées de détentions. Ce sont des corps qui arrivent creusés par des sillons que le vent et le sable ont semés parmi les ronces et la bonne terre. Ce sont des guerres solitaires faites en compagnie de récits émigrants dans les lieux de réconfort et dans les solidarités escarpées d’un moment.
Il n’y a pas de place pour eux
Ils sont arrivés ensemble. Cinq jeunes Sénégalais transfigurés par la fatigue et l’abandon. De retour de la Lybie inhospitalière, ils sont la proie du même accident d’auto à Niamey. Leur petite épargne accumulée et cachée part en fumée dans les dépenses de radiographie et les ordonnances médicales. Il n’y a pas de place pour eux, même dans la maison d’accueil des Sénégalais, et ils n’ont pas la parole dans leur consulat.
Grégoire part demain et se trouve déjà à la gare des autobus. Lovette reprend des forces pour continuer son voyage dans quelques jours. Sa fille qui s’appelle Mercy a désormais 19 ans reçus par grâce.
Le jour où elle se retrouvera avec sa mère, la paix s’embrassera enfin avec la miséricorde.
Mauro Armanino, Niamey, février 2012