François du Penhoat, Provincial de la Province de Lyon est en Centrafrique pour deux semaines. Le but de cette visite est d’apporter le soutien de notre famille SMA aux confrères qui sont au service de ce peuple et cette Eglise. Ce sont des pères de la Province de Lyon qui ont ouvert les chemins de la Mission à la SMA en Centrafrique dans les années 60. Ce voyage est donc aussi un peu une action de grâce pour le chemin qu’ils ont tracé…
Premières impressions en Centrafrique
L’arrivée sur Bangui est saisissante. Après avoir survolé le désert avec toute sa gamme de couleurs de l’ocre au noir, on arrive dans du vert. Du haut, la ville paraît une ville anglaise où chaque maison se trouve dans un petit carré de verdure. L’espace ne semble pas manquer dans ce pays et on n’empile pas les habitants…
A l’aéroport tout est simple et fraternel. Le contraste est total venant de Roissy : pour la première fois à Charles de Gaulle, je suis passé par les nouveaux portiques automatiques pour rentrer dans l’avion, chacun scanne sa carte d’embarquement ou son i phone et on est autorisé à embarquer. A Bangui c’est tout le contraire : on passe d’un premier contrôleur qui regarde les papiers jusqu’à celui qui tamponne le passeport, puis un troisième à qui on remet la fiche d’arrivée et un quatrième qui regarde que tout soit bien en ordre pour passer aux bagages. D’un côté un monde technicisé, très organisé et efficace, de l’autre 4 sourires et mots de bienvenus mais une impression que tout ça est bien compliqué ! Je viens de passer d’un monde à un autre.
Des cicatrices des évènements…
Une fois en ville, on passe par des lieux qui me sont inconnus mais dont j’ai tellement entendu parler, PK 5, PK12, etc. lieux de combats et de massacres dont j’ai entendu souvent parlés par confrères de Centrafrique. Les forces de l’Onu sont omniprésentes mais je comprends rapidement que les habitants en ont une opinion mitigée. La maison provinciale SMA est au pied d’une colline dans un écrin de verdure : ici aussi, tout est simple et fraternel, vraiment familial.
Une célébration, simple, joyeuse et priante
Samedi matin, ce sont les vœux d’une sœur dominicaine à la paroisse SMA de Begoua. J’y accompagne nos frères et retrouve des confrères connus dans un pays ou l’autre. L’évêque qui préside est celui de Berberati, un homme jeune, jovial et très simple qui a gardé le vêtement dominicain. La provinciale de la sœur est arrivée d’Italie pour l’évènement et on retrouve la structure classique de toutes ces congrégations qui sont aller « fonder » en Afrique et maintenant ont une rame de jeunes sœurs africaines mais qui ne sont pas encore autonomes. Francis me dit que ces sœurs sont très appréciées et ont été très courageuses au moment des évènements, restant dans la mêlée et s’occupant d’une foule de 17000 personnes réfugiée dans l’enceinte de la paroisse.
La procession d’entrée s’ébranle avec une équipe liturgique bien organisée : des enfants de chœur très rodés, un groupe de demoiselles de 8 à 12 ans en habit pendant jaune très élégant avec toutes la même coiffure, peignée en rayons qui se rassemblent en un chignon tenu par un lacet blanc sur le haut de la tête. Elles vont s’activer durant toute la célébration, venant au-devant de l’assemblée durant les chants et dansant au rythme de la chorale. Cette chorale est infatigable avec un système sonore qui paraît âgé mais qui fonctionne bien. Durant toute la célébration, j’ai admiré la complémentarité des différents acteurs qui agissaient de concert. Les gens sont habillés de pagnes colorés avec le Pape ou le Cardinal comme premiers personnages.
Après la profession elle-même, la provinciale a remis le nouvel habit à la jeune sœur qui est allée le revêtir. En rentrant dans l’église, accompagnée de 2 acolytes, protocole oblige, elle a été applaudie. Sa maman a laissé échapper quelques larmes tout en chantant et en dansant, les mains levées, à la manière des charismatiques ; on peut imaginer son émotion. Excusez-moi de reproduire en quelques lignes une célébration de trois heures.
Les jeunes centrafricains montrent une organisation parfaite
Après ça, il y avait le repas, Francis, le supérieur SMA de Centrafrique m’a expliqué que toute avait été organisé par les jeunesses dominicaines assistées des jeunesses SMA. L’organisation était parfaite avec des grandes tables en carré au milieu et des chaises formées en quatre côtés. Des jeunes filles faisaient le service, chacun allait avec son assiette se servir aux tables du milieu. Ici, on trouve facilement la viande de chasse. On m’explique que pendant les évènements personne n’allait chasser en forêt et les animaux se sont reproduits à vitesse grand v.
Une sœur contemplative est là et me raconte leur vie dans le monastère : elles sont moitié européennes-moitié africaines. Elle me dit que les différences de culture sont là, on ne peut les nier mais les problèmes ne surgissent pas des cultures mais des personnes. Elle me raconte l’arrivée des rebelles, leur peur mais aussi leur soulagement d’être passées à côté de désastre. Elle remercie le Seigneur qui les a protégées. Ensuite, elles se sont trouvées, elles aussi à accueillir des réfugiés, une nouvelle vie pour une contemplative que d’être avec des pleurs de bébé ou des cris et des odeurs de gens serrés les uns contre les autres. La prière devient plus proche de la vie des autres : on demande à Dieu de sortir de cette période cauchemardesque et on prie pour les gens qui sont autour avec leurs problèmes de survie. Elle me raconte le voyage du Pape : les gens de Centrafrique se sentent un peu oubliés, ils ne pouvaient pas penser que le Pape irait les voir…
Dimanche matin au village
Avec une sœur clarisse italienne qui attend un vol pour l’Italie, j’accompagne le P. Francis, supérieur des SMA en Centrafrique, pour dire la messe dans deux petites églises de village, pour les initiés, on parle de stations secondaires d’une paroisse. Francis m’explique que beaucoup de choses sont abîmées et ont été arrêtées à cause de la guerre. Les gens sont traumatisés et souvent malades tant physiquement que psychologiquement pour avoir vu tant de massacres. Comme ces pays qui ont connu la guerre, on voit des traces de balles sur les maisons, qui ont crevé les briques.
Dans le premier village, on commence la messe par une procession conduite par les trois lecteurs en uniforme. Ici, ils ont la messe environ tous les 2-3 mois. A la fin Francis me présente, ainsi que la sœur italienne. Il a expliqué, selon ce qu’il m’a traduit que j’étais le supérieur des pères français qui ont travaillé par ici : Francis Athimon, Pierre Garreau, et bien d’autres et que je suis avec les P. Laurent et Anicet. C’est sûrement la meilleure carte de visite et en même temps, je suis touché que les gens se rappellent de confrères qui ont travaillé ici il y a longtemps pour certains.
Dans le deuxième village, un vieux monsieur me dit que c’est le P. Garreau qui l’a marié il y a longtemps. Il est catéchiste retraité, très digne avec ce visage des vieux africains qui soulignent des « traits de sagesse ». On commence la messe, ici aussi tout en Sango. Francis m’a expliqué que le Sango était une langue d’une ethnie du centre que le premier président a pris et imposé comme langue nationale au même titre que le français ; si ce n’était pas l’unité de la langue, le pays aurait été déchiré par les évènements.
Il y a une procession d’offrandes faite de fruits, calebasses et patates douces qu’on dépose au pied de l’autel. A la fin de la messe, des mamans apportent des enfants nouveau-nés pour être bénis. A la sortie, on prépare des marmites pour manger ensemble parce que c’est le dimanche de la « rentrée pastorale » !
On rentre manger à la maison. Notre confrère James, un tanzanien, est arrivé. Il vient pour animer une session de dix jours pour les prêtres et les sœurs, sur la « résilience ». Les gens ont été traumatisés par la guerre, le pays est en reconstruction et il faut maintenant que chacun apporte du sien, sans se décourager et en digérant le passé, pour reconstruire des relations nouvelles avec les uns et les autres. C’est organisé au niveau national. L’Eglise a été une force essentielle pour éviter un carnage, la venue du Pape a contribué à cela, de même que les interventions courageuses des différents évêques. Maintenant, il s’agit de continuer dans la même voie à un stade différent…
Rencontre avec le Cardinal
L’archevêché est au bord du fleuve Oubangui, là où les premiers missionnaires spiritains ont débarqué. Dans la salle d’attente, un député avec un jeune homme ; que viennent-ils demander ? Je ne le sais pas. Deux femmes bien mises de la bourgeoisie locale sortent en faisant leur commentaire et on nous fait traverser le jardin qui mène à l’archevêque. Il est assis dehors, à une table ronde qui peut recevoir 7 ou 8 personnes, regardant le fleuve. Il nous fait asseoir, je le trouve très las et fatigué. Il me semble que la timidité augmente encore ces traits. Joseph, un de nos confrères SMA, qui est secrétaire de la Conférence épiscopale de Centrafrique nous a introduit mais il n’y avait pas besoin de grandes formules, ici, tout est d’une extrême simplicité.
Francis, notre supérieur de Centrafrique prend la parole pour dire que c’est une visite protocolaire au début de notre tournée.
L’archevêque nous remercie d’être venus et de suivre de près ce qu’ils vivent. Il se félicite du travail de nos pères dont on voit les fruits dans les paroisses. Il nous rappelle que le pays vient de traverser une période difficile et qu’on est en phase de reconstruction. Il y a beaucoup à faire mais il faut surtout reconstruire les personnes. Trop de choses sont détruites chez beaucoup et pourtant il est frappant de voir que la foi n’a pas baissé au contraire : « aux gens, on peut tout leur enlever, leur maison, leur travail mais pas Dieu qui est toujours là ». L’Eglise doit être là pour accompagner leur foi mais aussi parce que tout le monde lui fait confiance aujourd’hui.
Le Cardinal parle longuement de la figure du prêtre, le « père ». Si le père est blessé et a perdu sa boussole, tout est perdu. Il doit donner une direction ferme pour que les autres le suivent et que les choses avancent. Mais est-ce possible quand on a été traumatisé ? Il nous faut veiller à ce que les pasteurs de ce peuple soient bien dans leur peau et récupèrent des différents traumatismes. Il nous faut soigner les « docteurs » de l’âme pour qu’ils soient à leur tour capables de le faire autour d’eux.
Le Cardinal nous dit qu’il part le lendemain avec « ses amis », le pasteur et l’imam, par un petit avion de l’Onu, pour Alinao. Ils vont essayer de faire la paix ou tout au moins de calmer les esprits… Samedi il doit être de retour pour l’ordination d’un nouvel évêque.
La conversation continue un peu. Il nous parle de la visite du Pape. Un jeune lui a dit que « s’il n’était pas venu (le pape), les centrafricains seraient ‘sous terre’ » ; Mgr Dieudonné remercie cette bonté qu’il a eu de dépasser tous les avis négatifs qui lui avaient été donnés : le Saint Père a fait énormément pour la paix dans ce pays ; c’est à nous de continuer. Les centrafricains pensaient qu’ils étaient oubliés du monde entier.
Je suis frappé par cet homme tout donné à sa mission, que l’on voit fatigué, mangé de toutes parts par le service des uns et des autres mais qui est là. Il nous souligne l’importance d’aller de l’avant et de persévérer dans la foi. Trop sont découragés ou déboussolés. Je me dis que c’est vraiment notre mission de « réparer » cette humanité frappée d’accès de folie, et pour ce faire avancer avec une direction sûre en persévérant.
Déjeuner avec l’évêque de Bambari
C’est un tout jeune évêque, il est dominicain, simple et jovial. Il a été nommé il y a quelques mois coadjuteur de son diocèse et très vite a dû prendre les rênes de ce diocèse. C’est un territoire énorme, la moitié de l’Italie. Il a une vingtaine de prêtres diocésains. Certaines des paroisses ont été vidées par les bandes rebelles qui écument le pays d’une manière anarchique. Il raconte ses démêlées avec ces petits chefs de guerre qui protègent ou exploitent les chercheurs d’or ou de diamants, c’est selon mais qui financent leur guérilla avec cela. Il faut sans cesse parlementer, négocier tout simplement pour avancer sur la route.
Il découvre cette mission, si différente de ce qu’il aurait pu penser avant mais il montre une grande foi en l’avenir. C’est l’impression que donne cette Eglise de Centrafrique : au cœur de la mêlée mais qui continue à avancer envers et contre tout.
Mardi matin : à la paroisse de Begoua
J’ai compris qu’ici, il faut dire que je suis avec Laurent et Anicet, ce sont des noms magiques d’anciens curés. La paroisse est tout un complexe avec une église qu’on est en train d’agrandir, une école et un dispensaire.
On commence par l’école maternelle. Pour un occidental, c’est un peu déroutant, les enfants sont alignés derrière leurs petites tables. La maîtresse et son assistante doivent être plus présentes parce qu’il n’y a pas de jeux « à faire tout seul » mais elles doivent organiser des jeux pédagogiques collectifs continuellement. On passe de classes en classe, les uns nous chantent quelque chose, les autres disent un poème… J’admire la manière qu’ont ces maîtresses de mener leur petit monde…
On arrive à l’école primaire. Ce sont des constructions très simples assez basses avec une cour au milieu. On salue le directeur et la sœur intendante. Des élèves, probablement fiévreux et envoyés par leur maître, viennent chercher un comprimé contre le paludisme à l’intendance. Le directeur me dit qu’ils s’efforcent d’avoir un nombre limité d’enfants mais je vois qu’ils sont près de 70 dans une classe.
On continue au dispensaire paroissial, mené par des sœurs congolaises. C’est organisé et bien mené. On commence par visiter la pharmacie. Les sœurs reçoivent un peu de médicaments de l’Ordre de Malte, pour le reste elles se débrouillent avec les cotisations des patients. On visite le laboratoire. Elles ont reçu une aide pour avoir un système électrique solaire et des appareils pour faire les analyses de sang, elles deviennent plus performantes. Il y a les salles de consultations, d’abord chez l’infirmier puis, si besoin est, chez le médecin et puis des salles de soins ou d’attente pour les malades qui ont une perfusion mais personne ne reste dormir là.
La sœur qui nous fait visiter me semble bien dominer son affaire, à la fois attentive, douce avec les gens et ferme pour maintenir son organisation. Elles sont sûrement toutes dévouées à leur dispensaire. Dans un coin il y a leur casque de moto parce que leur véhicule « a foiré » mais avec la saison des pluies, ce n’est pas facile.
Les sœurs « rwandaises » et italiennes
On continue cette visite chez les sœurs rwandaises, fondées par un prêtre rwandais, il y a 60 ans. Leur charisme est de s’occuper des plus pauvres et des gens abandonnés. Elles nous parlent de leur intérêt pour les malades mentaux… Ici, elles ont une école de petits, surtout des orphelins de la guerre.
Enfin, on termine ce circuit chez les sœurs dominicaines dont l’une d’entre elles a fait ses vœux il y a 4 jours.
La paroisse de Gbongolo
On termine la journée chez nos frères Benjamin et Désiré à la paroisse de Gbongolo. L’église est tapie au milieu des bâtiments et dans un lieu de passage, on ne la voit presque pas mais c’est une grande église à l’intérieur.
Les pères nous expliquent l’organisation de leur paroisse, une grande communauté paroissiale avec une dizaine de communautés de base à l’intérieur. Il y a une école qu’ils veulent agrandir : la scolarisation est un problème dans tout le pays : les écoles privées ont un niveau meilleur que les autres qui permet aux enfants de pouvoir faire quelque chose après. Ils ont un système de bourse pour les plus pauvres ou les orphelins. Benjamin nos raconte qu’une maman était venue « désinscrire » un enfant parce que le papa était décédé et elle toute seule ne pouvait pas payer la scolarité ; On lui a répondu de laisser son enfant et qu’on débrouillerait pour qu’il puisse continuer avec ses camarades. En plus, dans les autres écoles les enfants vont alternativement le matin ou le soir à l’école qui fonctionne pour deux groupes à la fois, c’est toujours compliqué et déstabilisant pour les enfants.
Le rythme de vie est assez spécial après les évènements : la journée commence très tôt, dès cinq heures, les gens arrivent à l’Eglise pour prier et pour la messe de six heures (ici, beaucoup de choses commencent à 7H). L’après-midi, il y a les réunions parce qu’il faut avoir terminé pour 18h, quand il commence à faire nuit pour ne pas se promener de nuit.
On termine une journée bien remplie avec l’impression d’avoir été avec des gens dynamiques qui « en veulent » …